Audrey Poussier est une autrice et illustratrice pour la jeunesse, formée à l’École Estienne et aux Beaux-Arts de Paris, qui a déjà publié depuis une vingtaine d’année de nombreux albums aux éditions L’école des loisirs, souvent seule, parfois à l’illustration de textes d’autres auteurs. Son travail est particulièrement identifié pour ses albums tout carton très drôles au trait vif et à l’aquarelle comme Mon Pull ou La Bagarre. Elle s’est déjà affranchie de ce style graphique dans son précédent album, Trois Chatons dans la nuit, entièrement illustré à la peinture à l’huile.

Le Jeu du plus qu’un jour me semble parfait pour commencer l’année et reprendre les chroniques autour de la nostalgie de l’été, des vacances et de la maison familiale. Et puis, je l’ai déjà dit ici je crois, mais j’aime beaucoup les albums pour enfants autour des maisons, tant par la représentation de ce qui est souvent l’un des premiers dessins des plus jeunes que par ce sujet fort de l’enfance dans le sens large du chez soi. Au moment de quitter la maison de leurs grands-parents où ils ont passé leurs vacances, voilà que deux enfants, frère et sœur ou cousin et cousine, jouent à déterminer par le menu ce qu’ils y préfèrent l’un comme l’autre, quelle chambre, quelle chaise, quel escalier, quel verre… C’est que la maison, en cela fascinante, est remplie de choses et de souvenirs familiaux qui ne sont pas toujours les leurs, comme ces photos de gens qu’ils ne connaissent pas.

Ce dernier jour de l’été ou des vacances est un moment particulier où les enfants découvrent ce sentiment bien fréquent chez les adultes qu’est la nostalgie, devenant pour eux immédiate et fulgurante. Il y a là une temporalité particulière où l’on quitte, tout en y étant encore, la langueur estivale en percevant la fin de cette journée signifiant, dans un certain vertige, une fin plus importante. L’on se projette alors dans un futur qui se rapproche, dans les souvenirs que l’on aura et la nostalgie que l’on expérimente déjà par projection, tout en se rassurant en pensant plus loin à l’été prochain. Ce sentiment prend corps dans une certaine angoisse du temps qui passe, du fait de grandir et d’évoluer comme tout ce qui nous entoure. L’on voudrait alors suspendre le temps à cette journée, figer cet endroit chéri que l’on voudrait immuable en prenant pleinement conscience de ce qui le constitue.

Le jeu du plus qu’un jour entre les deux enfants, installés dans le jardin et que l’on ne verra qu’au début et à la fin de l’album, est de ces rituels familiaux que l’on s’invente en discutant, se révélant l’air et rien et s’apparentant à des « Tu préfères ? » ou « Sur une île déserte tu emporterais quoi ? ». Le texte est constitué uniquement du dialogue entre eux, alternant questions et réponses sur leurs choix respectifs alors que défilent les illustrations représentant les différentes catégories et leurs choix. En se projetant dans la maison de mémoire depuis le jardin d’où ils ne bougent pas, les enfants égrènent leurs préférences sur tout ce qui fait l’identité de cette maison et de leur famille. L’on part d’un merveilleux plan de coupe de celle-ci pour aller dans certains détails selon une logique évoluant comme le jeu inventé au fur et à mesure par ses participants dans leur ordre propre, avec une pièce puis son contenu ou des associations d’idées moins directes mais qui leur font sens. Le jeu évoluant en étant pratiqué, de nouvelles règles sont décrétées en cours de partie, l’un indiquant à l’autre qu’ils ne peuvent choisir la même réponse ou répondre la même chose à deux questions différentes.

Cet inventaire de ce qui compte pour eux dans la maison de vacances peut s’apparenter à un imagier du quotidien avec des variations sur chaque thème (les différents verres ou sièges par exemple) renouvelé dans sa structure par le dialogue entre les enfants. Cela peut être renforcé par la grande place donnée aux illustrations à la peinture à l’huile évoquant parfois de saisissantes natures mortes selon l’alternance des plans et des cadrages d’Audrey Poussier. La technique utilisée apporte épaisseur et densité, rappelant le poids des souvenirs fixés pour ne pas les oublier. Cette profondeur est travaillée avec une grande subtilité en développant des jeux de lumière, de reflets ou de transparence saisissants.

Le jeu des enfants-personnages peut devenir celui des enfants-lecteur.ices qui se plairont à déterminer leurs préférences dans le livre ou dans la réalité. Au-delà de cela, la lecture en elle-même invite au jeu, à l’observation et à la déduction incluant les lecteur.ices amené.es à chercher dans les pièces les objets cités en effectuant des allers-retours dans les pages du livre pour en découvrir toujours plus de références imbriquées, voire suggérées comme ces jouets préférés que l’on suppose cachés dans le coffre de l’une des chambres.

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